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Le voyage de Carolien, à la découverte d'elle-même

Écrit le 20 novembre 2025

Aucun enfant ne devrait vivre ce que Carolien a vécu
Ensemble, nous pouvons changer les choses et faire en sorte que plus d'enfants soient vus et entendus. 

« Mon chiot et ma thérapie sont plus liés que vous ne le pensez. » Carolien, 33 ans, est chercheuse, femme, sœur, collègue... et survivante d'abus sexuels et de maltraitance infantile. Elle raconte son histoire pour sensibiliser à l’importance d’être vu et entendu. 

Une personne, plusieurs facettes

« Je suis la femme de Steve, la sœur de mes sœurs, une collègue de travail, une chercheuse. Je suis un peu tout cela à la fois », dit-elle en souriant doucement. Derrière ces mots se cache une lutte quotidienne pour concilier tous ces facettes avec un passé qui continue de laisser des traces. « Pour moi, travailler à temps plein est difficile », explique-t-elle. « La pression du travail ne correspond pas toujours au processus de guérison dans lequel je me trouve aujourd’hui. Je travaille actuellement à 60 %. Ça me convient. Mais cela suscite parfois des incertitudes chez moi : je ne fonctionne pas au rythme que notre société attend de moi. »

Les conséquences silencieuses des troubles du passé

L’impact de son enfance est omniprésent, dit-elle. Souvent dans les petites choses du quotidien. « J’ai du mal à manger quand quelqu’un que je ne connais pas est assis en face de moi. C’est aussi compliqué pour moi d’aller aux toilettes au travail. Cela peut sembler banal, mais ce sont des endroits où d’anciennes hontes refont surface. » Un souvenir la hante : une maison avec des toilettes sans porte, sans intimité. « On imitait mes bruits quand je faisais pipi. Cela peut sembler innocent, mais cela m’a tellement marquée que je ne suis toujours pas à l’aise aux toilettes. Sauf quand je suis vraiment seule » raconte-t-elle calmement, sans pathos. Le fait de partager son histoire semble être une forme de guérison pour Carolien.

Être vue et entendue

D’ailleurs, pourquoi raconte-t-elle son histoire ? « Pour moi-même, mais aussi pour les autres », répond-elle. « En partageant mon histoire, j’apprends à me voir à nouveau à travers le regard des autres, d’une manière positive. Car le regard avec lequel j’ai grandi était destructeur. Plein de jugement. Plein de doute. » Elle marque une pause. « Il y a encore des voix dans ma tête qui me disent : « Tu n’as rien d’intéressant à dire, tu n’as pas ta place ici. » Ce sont les voix avec lesquelles j’ai grandi. Mais en parlant, en étant vue et entendue, je fais de la place pour d’autres regards. » Et pour les autres, elle sait que se reconnaître dans une seule phrase peut déjà être réconfortant. « On se sent très seul quand on vit avec un traumatisme. Surtout à l’âge adulte. Si mon histoire permet à une seule personne de penser « je ne suis pas seule », alors cela en vaut déjà la peine. »

Guérir ou transformer

Peut-elle guérir de ce qui lui est arrivé ? Elle réfléchit un instant. « Je ne sais pas si guérir est le mot juste. Mais je crois en la transformation. On en fait quelque chose d’autre. Je ne fonctionnerai jamais comme quelqu’un qui n’a pas subi de traumatisme. Et je l’accepte. Mais je peux transformer mes expériences en leçons. » L’une de ces leçons est de fixer des limites. « C’est presque la première chose que l’on apprend en thérapie. Et c’est quelque chose dont tout le monde a besoin dans la vie. Sans mon traumatisme, je n’aurais peut-être jamais appris cela. Je me serais probablement épuisée parce que je ne savais jamais dire non. »

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Le réconfort d’un chien

Carolien a récemment adopté un nouveau chiot. « J'avais déjà eu un chien, Flow. Quand elle est morte, je me suis effondrée. Elle était ma meilleure amie, ma thérapeute sur le canapé, ma coach pour sortir. Sa laisse était littéralement ma bouée de sauvetage. » « Un chien ne juge pas », reprend-elle doucement. « Il se fiche que vous soyez encore en pyjama ou non. Il est simplement heureux que vous soyez là. Et cette joie, combinée à cette présence, vous réchauffe le cœur. »

Le cauchemar de l’abus

Carolien parle ouvertement de la confusion que les abus dont elle a été victime ont entraîné chez elle. « Enfant, je ne me sentais ni vue ni entendue. Mon agresseur a comblé ce vide. C’est un constat terrible : grâce à lui, je me suis sentie vue pour la première fois. Et cela rend la vie terriblement confuse. » Elle ajoute doucement, mais sans hésitation : « C'est ça qui rend fou : ce dont un enfant a le plus besoin — être vu et entendu — devient en même temps le moyen par lequel il est blessé et détruit à vie. »

Apprendre à trouver l’harmonie

La dissociation peut fragmenter le monde intérieur d'une personne. Il s’agit une réaction neurobiologique pour maintenir l'ordre lorsque l'environnement qui devrait nous offrir de la sécurité est source de danger. En thérapie, Carolien apprend à gérer l'une des conséquences de ce phénomène : la fragmentation. « C'est comme si un orchestre jouait dans ma tête, car le contexte dans lequel j’évoluais a fragmenté mon esprit. Chaque partie de moi a son propre instrument, son propre rythme. Parfois, c'est le chaos. Le joueur de tambour traduit par exemple la colère ; le violoniste est celui qui fait plaisir, le trompettiste est l'esprit alerte qui scrute les dangers... Maintenant, il faut que j’arrive à devenir chef d'orchestre, pour que toutes mes parties forment une harmonie plutôt qu'une cacophonie. » Si cela demande un courage infini ? Carolien sourit. « Oui, c'est vrai. Mais je n'ai pas peur d’entamer ce voyage. Je pars à la découverte de moi-même. »

« Il n'est pas nécessaire de tout guérir pour vivre »

Carolien n’envisage pas sa vie comme une quête de guérison mais plutôt comme une quête de sens. « Je crois que guérir n'est pas la même chose que soigner. Il n'est pas nécessaire de tout guérir pour vivre. Parfois, il suffit de savoir où se situe la douleur et de ne plus la laisser nous contrôler. » Elle regarde son chiot endormi à côté d'elle. « Il y a toujours quelque chose à découvrir... »