Entretien avec le professeur Mark Bellis : apprendre aux enfants à gérer l'impact des expériences négatives
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autour des traumatismes liés à l'enfanceEn Europe, environ 1 personne sur 2 a vécu au moins une expérience négative durant l’enfance. Et 10 à 15 % de la population en a subi quatre ou plus. Une réalité qui a de lourdes conséquences à long terme, tant individuellement que collectivement. Le professeur Mark Bellis, expert de renommée internationale, était l'invité de notre dernière conférence sur les traumatismes chez les jeunes et nous a fait part de ses réflexions.
Beaucoup plus d'enfants que nous ne le pensons vivent des expériences douloureuses
À des degrés divers, de nombreux enfants sont un jour ou l’autre confrontés à des expériences négatives qui peuvent être traumatisantes : insultes, coups, blessures, manque de nourriture ou abus sexuels. Beaucoup plus que ce qu’on imagine.
Qu’il en soit victime ou témoin chez lui, « toutes ces expériences peuvent faire du foyer dans lequel l’enfant grandit un endroit assez effrayant, » explique Mark Bellis. Et selon les recherches du professeur, ces expériences peuvent avoir des effets sur son développement. Non seulement pendant l’enfance, mais aussi à plus long terme, une fois adolescent et même à l’âge adulte.
Des expériences qui peuvent coûter très cher
Plus tard, ces enfants ont tendance à adopter des comportements qui sont mauvais pour leur santé, par exemple fumer, boire ou d'avoir des relations sexuelles précoces. « D'une certaine manière, ces comportements peuvent être considérés comme des stratégies d'adaptation, car ils permettent d'essayer de détourner l'attention ou de se protéger de certains traumatismes. Mais à long terme, cela peut entraîner une augmentation du nombre de maladies non transmissibles : diabète, surpoids, voire maladies cardiovasculaires. Malheureusement, pour certaines personnes, cela peut raccourcir l’espérance de vie. »
« Tous les enfants qui ont vécu des expériences négatives ne subissent pas nécessairement ces conséquences négatives, » nuance Mark Bellis, « mais beaucoup d'entre eux en souffrent. Si nous parvenons à prévenir ces expériences négatives durant l’enfance, nous pouvons améliorer leur santé à long terme. » Et cela permet aussi d’économiser énormément d’argent : « Ne rien faire pour remédier aux expériences négatives vécues pendant l'enfance a un coût énorme, » explique Mark Bellis. En Belgique, on estime ce coût à environ 6,7 milliards d’euros par an.
3 conseils pour aider au mieux les enfants victimes de traumatismes infantiles
1. Apprendre à décoder les comportements complexes
Que l’on soit parent, enseignant, travailleur social ou même employé dans le système judiciaire, la police, le message de Mark Bellis est le même : être vigilant face aux comportements complexes chez les enfants qui nous entourent.
« Il faut être attentif aux enfants qui se renferment sur eux-mêmes lorsqu'ils sont confrontés à certains problèmes et qui s'isolent. Mais aussi aux enfants qui expriment leur colère vers l’extérieur. » En tant qu’adultes, notre rôle n’est pas de juger l'enfant, mais plutôt de chercher à comprendre avec lui ce qui se passe dans sa vie. « En devenant des adultes de confiance pour l’enfant, on peut, dans certaines circonstances, mieux comprendre ce qui se passe dans sa famille. Mais dans un premier temps, on peut juste être présent pour l'enfant. Le simple fait d'être là fera une différence dans la façon dont il ou elle se sent. »
2. Renforcer la résilience, dès le plus jeune âge
Malheureusement, il est impossible de prémunir son enfant contre toute expérience négative durant l’enfance. En revanche, nous pouvons renforcer sa résilience, c’est-à-dire lui donner les moyens pour résister à ce qui lui arrive. Cela passe par des adultes de confiance, qui l’écoutent et essaient de l’aider, et par des lieux sûrs, « où il peut trouver la paix et la détente qu'il ne peut peut-être pas trouver dans son environnement familial. »
« Parfois, pour protéger un enfant contre des expériences négatives, il suffit d'un câlin et d'une histoire avant d’aller au lit. Ce n'est pas compliqué. Ce sont des gestes simples qui permettent à l'enfant de savoir qu'il dispose d'un espace sûr dans sa vie et qu'il peut faire confiance aux autres. »
Savoir que d’autres ont réussi à s’en sortir dans une situation similaire peut aussi contribuer à construire la résilience d’un enfant. « Il s'agit de lui faire comprendre que cette situation ne durera pas éternellement. »
« Plus vous renforcez sa résilience, moins l’enfant est susceptible de subir des conséquences négatives lorsqu'il vit des expériences difficiles pendant son enfance. »
Mark Bellis
3. Créer des sociétés plus sensibles aux traumatismes
« Dans tous les aspects de la vie, que l’on côtoie des enfants à l’école, dans des clubs sportifs ou des milieux religieux, il faut comprendre comment les traumatismes affectent les enfants. Comprendre le type de questions à poser pour ne pas aggraver la situation, et le soutien qu’on peut apporter afin de créer des espaces plus sûrs pour les enfants. »
Cette sensibilité aux traumatismes doit aussi s’appliquer aux adultes. « Nous devons nous rappeler que les traumatismes accompagnent les personnes qui les subissent à l'adolescence et jusqu’à l'âge adulte. Tous les aspects de la société doivent donc tenir compte des traumatismes et savoir comment améliorer la situation des personnes touchées par ces traumatismes, plutôt que de l'aggraver, » conclut-il.